Etranger résident

Publié le par Jacquette

En balade dans mon nouveau fief, au sud du sud, il me faut repérer librairies et cafés, indices importants de vie dans une petite communauté, en plus du marché le samedi. Je découvre une librairie d’occasions, où le choix est vaste et vraiment « littéraire », pas les éternels rebuts que tout le monde offre et dont on se débarrasse honteusement.

Un recueil de Charles Bukowsky, bonne pioche, et un livre dont la réédition il y a 10 ans , était introuvable : « La voix dans le débarras » de Raymond Federman. Un homme au destin incroyable, échappant à la déportation, grâce au geste de sa mère, qui le pousse « dans un débarras », alors que la gestapo vient arrêter toute sa famille ( sur dénonciation de la concierge, sympathique peuple français!). Il a 12 ou 13 ans , il reste 48 heures tétanisé dans l’obscurité, seul, abandonné, terrorisé, anéanti . La voix dans le débarras, c’est une langue « inouïe », très expérimentale et violente, qui tente de dire la peur, la solitude, l’enfermement, la fin de l’enfance, la fin de l’innocence.

Il se réfugie dans le sud de la France, travaille dans une ferme, puis émigre à 19 ans en Amérique. Découverte du jazz, de la liberté, il obtient une bourse d’études après son service en Corée , soutient une thèse sur l’œuvre de S.Beckett, devient son ami et traducteur, enseigne la littérature comparée, écrit poèmes et romans, toujours dans une langue explosive, entre humour, recherche textuelle, ode à la vie et au sexe.

Ces jours ci disparaissait une autre grande voix de la littérature, Aharon Applefeld, dont la jeunesse fut aussi épique, une histoire de survie très romanesque. Son style beaucoup plus classique est empreint d’une grande poésie, « Floraison sauvage », « la chambre de Mariana » sont autant de célébrations de l’amour et la folie, évoquant une époque hantée par la catastrophe à venir.

Je visite enfin la collection de Marin Karmitz, un autre exilé, où l’on peut voir de nombreuses photos de Roman Vischniac, témoin de la vie dans les ghettos juifs d’Europe Centrale juste avant la seconde guerre mondiale. Toute l’exposition est imprégnée d’une humanité tragique, beaucoup de photos en noir et blanc, enfants exploités au travail, émigrants aux portes de l’Amérique, jeunesse paumée des années 60, gitans, travestis, énigmatiques statues d’art primitif, tableaux aux teintes terreuses de Dubuffet, clochettes suspendues dans un désert de neige, tintinnabulant dans le vent (Boltanski), un sentiment de tristesse et de solitude que seule l’installation d’Annette Messager, pour ma part, allège un peu, malgré les ombres inquiétantes des ciseaux, aiguilles, couteaux et clous en skaï rembourré, suspendus tel des jambons : il y a toujours une part ludique dans les installations malicieuses de la « truqueuse » comme elle se surnomme.

Dehors il fait tout aussi gris et venteux,mais si doux…

Pendant ce temps, on continue de traquer les « nouveaux » migrants, il y a comme un relent nauséeux dans l’atmosphère….

L’exposition s’appelle « étranger résident », mais à nouveau l’Europe ne veut plus de résidents étrangers, comme ça se trouve...Une répétition du même ?

Etranger résident

Publié dans existence, Humeur

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